EDITION: Août - Octobre 2016

Surprendre le spectateur

Helena Sánchez
L’artiste Jesús Albarrán vit sur l’île depuis l’année 2002 dans une belle maison de Santa Eulalia, avec une vue spectaculaire sur la mer. Le but de son œuvre n’est autre que de surprendre le spectateur. Et il y arrive, puisque, en contemplant ses œuvres, personne n’y reste indifférent, ni ne les oublie. Dans un premier temps, celles-ci semblent de simples bandes ou les coulures de la trame même de la toile, jusqu’à ce que soudain, depuis un autre point de vue, apparaissent des visages, peut-être des célébrités, comme s’il s’agissait des photographies, passant ainsi sans explication d’une image abstraite à une image totalement figurative.

 
Jésus est né à Tolède en 1945. Depuis l’enfance, il ressentait une passion pour l’art et aimait dessiner. Cependant, dans une Espagne appauvrie, son père lui ordonna d’étudier pour se forger tout d’abord un avenir, et qu’ensuite il pourrait peindre car selon lui, « les artistes mourraient de faim ». En conséquence, il  termina ses études secondaires et commença l’Université qu’il ne termina pas,  les besoins économiques de la famille l’obligeant à travailler. A dix-huit ans il trouva un emploi d’illustrateur dans une agence de publicité de Madrid. Il s’avéra que cela lui permettait d’apporter une aide économique à sa famille et il abandonna finalement les cours pour se consacrer pleinement à son activité créatrice publicitaire.

 
En fait, après avoir évolué comme créatif puis comme directeur créatif en passant par plusieurs entreprises, en 1973, il fonda sa propre agence de publicité, se spécialisant dans des campagnes pharmaceutiques avec succès ce qui lui permit d’amplifier l’entreprise. Entre temps, il n’avait pas abandonné son côté artistique qui évolua de manière autodidacte mais il reçut également une formation dans plusieurs académies, telles que la « Escuela de Arte Peña » dans le centre de Madrid.

 
Fin des années 80, le destin voulut que Jesús Albarrán rencontra Ibiza. Il s’acheta une maison sans rien savoir de l’île et sans n’y avoir jamais été auparavant. « Il y avait quatre routes et vous rencontriez des gens du coin qui ne savaient même pas parler espagnol », dit-il. Il fréquenta assidûment ce paradis de la Méditerranée pendant ses vacances jusqu’à l’an 2000 où il se mit en préretraite, vendit son entreprise et ouvrit, à Santa Eulalia, une galerie d’art appelée Soma. La galerie résista 4 ans mais il avoue que ce fut à fonds perdus.

 
Cependant, à partir de 2000, Jésus, revenant entièrement à l’activité artistique, a participé à d’innombrables expositions, certaines d’entre eux avec succès notable, comme une série de tableaux consacrée au monde de la tauromachie. Toutefois, c’est également à cette époque qu’il commença à développer la technique qui le caractérise aujourd’hui. Il se rendit compte que les gens ne comprennent pas l’art abstrait, parce qu’ils n’ont pas suivi sa raison d’être. « Au XXe siècle, il y eut une telle explosion d’informations que le spectateur s’est senti désorienté » et cela les conduit à une tendance vers le figuratif. Il a profité de son expérience en publicité, et utilise des programmes informatiques en suivant différentes phases pour construire l’image qu’il cherche à obtenir. Dans une exposition récente, il marqua au sol les points de vue d’où le spectateur devait se placer. Il expérimente actuellement la notion de « sortir de la toile » et a en tête des projets beaucoup plus ambitieux qui impliquent de nouveaux défis : par exemple celui de manipuler des matériaux comme couper de l’aluminium au laser, cherchant toujours à innover.

 
Jésus fait partie de plusieurs associations d’artistes et a constaté qu’il est très difficile pour les artistes de vivre de leur travail. Il déplore qu’il existe de très bons artistes de représentation internationale qui ont du mal à survivre uniquement de leurs œuvres d’art. Nous espérons que cette tendance puisse changer. En attendant, nous nous laisserons surprendre par les innovations de Jesús Albarrán. •