Pénurie de locations sur Ibiza : des solutions
Par Carmen Loren Ceballos
Il se peut que tous ceux qui ont essayé de trouver des locations de logements abordables à Ibiza ne connaissent pas le chapitre 47 de la Constitution espagnole qui énonce :
« Tous les Espagnols ont le droit de jouir d'un logement décent et convenable. Les pouvoirs publics doivent promouvoir les conditions nécessaires et établir des normes pertinentes pour faire appliquer cette loi, réglementer l'utilisation du sol conformément à l'intérêt général pour éviter les spéculations. La Communauté participera aux plus-values générées par l'action urbaine, des organismes publics. »
De même le droit au logement apparaît également recueilli dans l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies.
La Loi semble assez claire mais cependant, l’exode de résidents (y compris ibicencos) qui quittent l'île d'Ibiza dans l'impossibilité de trouver une maison à louer à des prix raisonnables a commencé depuis longtemps et les cas sont de plus en plus nombreux. Nous parlons de personnes et de familles qui malgré emplois et revenus, ne peuvent pas accéder à un appartement ou une maison à louer. Les prix gonflés, les cautions, les dépôts, les commissions et garanties énormes pourtant non stipulées par le droit des baux urbains (LAU) sont une partie du problème. S’ajoute à cela la sous-location illégale de maisons et de chambres à des prix astronomiques, incitée par la demande créée durant la saison estivale. Spéculation galopante, agents immobiliers illégaux et courtiers ont trouvé ici un excellent bouillon de culture pour convertir un besoin fondamental bon et prétendument protégé par notre Constitution, en un article de luxe inabordable.
La situation a atteint une limite où d'innombrables personnes touchées par le problème cherchent désespérément un endroit où vivre, alors que pendant ce temps, des milliers de logements restent vides, certains entre les mains d’institutions financières, d’autres appartenant à des propriétaires qui, préfèrent les destiner à la location touristique, parfois aussi de manière illégale, et qui gardent donc leurs appartements fermés pendant l’hiver en attendant de profiter de l'été suivant. La nécessité de trouver et d'appliquer des solutions à cette réalité est indispensable et urgente. Il existe en Espagne des exemples d'initiatives autant publiques que privées pour aider à pallier au problème de l'accès aux logements locatifs et qui pourraient servir de source d'inspiration pour commencer à prendre des mesures à Ibiza.
Pour ces projets, j'ai eu l'occasion de parler longuement avec le directeur de la première immobilière espagnole se décrivant comme « éthique », d’où son nom, Etikalia, et qui a son siège à Bilbao, pays Basque, l’une des capitales espagnoles les plus chères quant à locations de logements. Roberto Cacho, son directeur général, explique que son travail est basé sur ce qu'ils appellent, les « triples résultats », résultats économiques, résultat sociaux et résultats environnementaux. La nouveauté qu'ils proposent aux propriétaires afin d'encourager la mise sur le marché de leurs maisons vides est un suivi et une gestion professionnelle de chaque logement après la signature du contrat, de telle façon qu’ils se rendent responsables de la médiation entre le loueur et le locataire pendant la durée du pacte immobilier et même après. En outre, ce n’est pas le locataire qui paie la commission d'Agence et il n'existe pas de garanties ni de cautions qui ne soient pas prévues dans la LAU.
Nous avons également eu l'occasion de lui parler de la réponse institutionnelle que le gouvernement du pays Basque a donné, ces dernières années, au problème de l'accès au logement, puisque Roberto Cacho a été, avant Etikalia, responsable du programme Basque de location de logements publics (HLM), « Bizigune », qui a fonctionné avec succès ces dernières années, selon ses propres termes, avec actuellement un parc immobilier d'environ 4.000 logements dans tout le pays Basque. Une initiative par laquelle le gouvernement régional encourage la sortie sur le marché de logements vides pour les louer ultérieurement en logement sociaux rotatifs pour un montant de 300 € par mois. En outre et avec l'adoption en juin dernier 2015 de la nouvelle loi Basque du logement, a été réglementé « le droit subjectif au logement », selon lequel tout citoyen inscrit au pays Basque a le droit d'avoir un logement en location et s’il n’en a pas la possibilité, il peut le demander à l'Administration et si celle-ci ne répond pas, il peut recourir au tribunal.
De même, le texte recueille la pénalisation d’appartements et maisons vides, de façon à ce que si un logement est inhabité et que, dans le délai de deux ans, il n’est toujours pas mis en vente ni à la location – les résidences d’été étant exclues – son propriétaire doit payer une taxe fixée à 10 € par mètre carré la première fois, somme qui augmentera chaque année supplémentaire, si le logement n’est toujours pas habité.
Voici quelques exemples de mesures déjà mises en œuvre dans d'autres communautés autonomes. Pour les mener à bien à Ibiza, il faudrait, parmi les citoyens, l'existence d'une masse critique qui commence à attirer l'attention sur ce conflit et qui génère un courant d'opinion en faveur de ceux qui sont touchés. La meilleure façon d'obtenir la participation des institutions est de s’unir pour sensibiliser les consciences dans les communautés de l'île. Depuis quelques mois, on a pu voir, à travers les différentes pages de Facebook et autres plates-formes, une certaine réaction et une mobilisation citoyenne, essayant d’être porte-paroles des victimes et passant même à l’action par le biais de plaintes au Trésor Public.
La volonté politique de consacrer des recours à parvenir à une solution est essentielle mais cette volonté n’existera qu’avec une plus grande prise de conscience et une sensibilité au sein de la communauté. L’administration gouvernementale doit encourager les propriétaires à mettre les propriétés vides sur le marché des locations et également établir des programmes de logements sociaux. Cela ne se produira que si la population comprend l'énorme impact négatif causé par des maisons vides et la spéculation comme moyen de gagner sa vie. N'oublions pas que la Constitution dit : « Tous les Espagnols ont le droit de jouir d'un logement décent et convenable ». Espérons que les autorités d’Ibiza reçoivent le message et redoublent d'efforts pour que la vie y soit abordable.