EDITION: Février - Avril 2015

La nouvelle « Loi Muselière »

Par Jerry Brownstein
En décembre dernier, le parti populaire gouvernant en Espagne a approuvé de nouvelles lois qui restreignent les protestations publiques, augmentant le pouvoir de la police et imposant de lourdes amendes pour toute une série d’activités. La loi a été appelée la « loi muselière » ou « bâillon » car elle a clairement l’intention de recouper les droits démocratiques du peuple à protester contre les agissements du gouvernement. Ses adversaires au Parlement disent que « cette loi est un retour non nécessaire à l’État policier... L’intention était simplement de réduire considérablement les droits des citoyens et d’éliminer les limites légales ».

Le jour où la loi fut approuvée, des milliers de citoyens indignés sont descendus dans la rue dans toutes les grandes villes espagnoles pour protester contre cette atteinte à leurs libertés civiles. Le Président Rajoy, du Parti Populaire, défend cette loi en disant que « l’une des obligations du gouvernement est de garantir la liberté et la sécurité de tous ses citoyens » et fait valoir que la nouvelle loi n’est pas faite pour museler les citoyens, mais pour les protéger. Parallèlement, les militants pour les droits de l’homme affirment que priver les gens de leurs droits est une étrange manière de les protéger.

 
Les dispositions de cette « loi muselière » entrent dans deux grandes catégories : 1) celles octroyant de très larges pouvoirs à la police, et 2) celles prévoyant de fortes amendes pour les activités qui, jusqu’à présent étaient légales, sauf preuve du contraire. Voyons les détails de chaque catégorie :

1) Les dispositions qui donnent plus de pouvoirs à la police et limitent les droits fondamentaux :

• Le gouvernement peut interdire toute protestation à discrétion s’il estime que « l’ordre » pourrait être altéré.
• La police peut effectuer de contrôles d’identité aléatoires, en accentuant plus dans les profils raciaux.
• La police peut opérer des raids à discrétion, même quand il y n’a eu aucune altération de l’ordre.
• La police peut effectuer des fouilles personnelles externes à discrétion.
• La police peut légalement créer des « listes noires » de manifestants, militants et autres médias alternatifs.
• Toute « infrastructure critique » (définie à discrétion par le gouvernement) est maintenant considérée comme zone interdite aux réunions publiques.


Force est de constater que ces lois donnent au gouvernement d’amples pouvoirs pour définir ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Il n’est donc pas étonnant que beaucoup craignent le fantôme du passé d’une Espagne, non si lointaine, régie par un régime autoritaire et non démocratique. Dans une société libre, les agissements du gouvernement et de sa police sont limités par les droits fondamentaux de chaque citoyen. Cette loi a provoqué la colère de personnes à qui elle retire bon nombre de ces droits pour permettre au gouvernement d’utiliser son pouvoir de manière arbitraire.

2) Dispositions pour amendes obligatoires :

Voici toutes les infractions classifiées « graves » et passibles d’amendes allant de 600 € à 30.000 €. Auparavant, de telles actions auraient pu conduire les manifestants à un procès où ils pouvaient se défendre devant un juge. Cette loi supprime cette présomption d’innocence et définit automatiquement ces actions comme criminelles :
• Se réunir ou se retrouver devant le Congrès.
• Photographier ou filmer la police.
• La désobéissance pacifique à l’autorité.
• Occuper des banques en guise de protestation.
• Empêcher l’expulsion d’une propriété.


Ces dispositions sont une claire illustration de la volonté du gouvernement de protéger les banques et la police, au lieu de protéger le peuple. Pourquoi auraient-ils peur que la police soit photographiée ou filmée ? Si la police agit dans les limites de la loi pour protéger les gens, elle devrait être heureuse de voir ses agissements enregistrés. À l’inverse, si elle abuse de son pouvoir, alors le public devrait en être informé. Pourquoi exclut-on précisément les banques des manifestations, alors que leurs efforts pour expulser les personnes de leurs foyers sont entièrement protégés ? Il n’est pas surprenant que cette loi ait été vivement critiquée par les groupes de défense des droits de l’homme qui affirment qu’il s’agit d’une tentative du gouvernement conservateur de faire taire les protestations sur leur façon de gérer la crise financière espagnole. Un regard sur l’histoire, après l’approbation de cette loi peut nous éclairer sur son intention réelle.

Le parti conservateur du PP récupérait le gouvernement en 2011 et imposait peu de temps après une série de mesures d’austérité pour tenter de stabiliser le déficit et éviter un plan de sauvetage. La plupart de ces mesures affectèrent plus négativement la classe ouvrière et les plus démunis. Les aides gouvernementales pour ceux-ci furent sévèrement réduites. La TVA fut augmentée, alors qu’il s’agit d’une forme très régressive de collecte de fonds, car elle affecte ceux qui peuvent le moins se le permettre. En même temps, les banques (dont la politique téméraire de prêts avait provoqué la crise), ont été secourues et protégées. En conséquence, des millions de personnes se virent menacées de perdre leur maison, mais au lieu d’aider ces personnes, le gouvernement prit parti pour les banques. Il aurait pu aider ceux qui ne pouvaient pas rembourser leurs emprunts en forçant les banques à refinancer leurs dettes, mais au lieu de cela, il préféra soutenir les banques. Ces mesures générèrent une augmentation des manifestations dans les rues, y compris plusieurs tentatives d’encercler le Parlement et autres édifices gouvernementaux. Certaines de ces manifestations se terminèrent par des affrontements avec la police et des poubelles en flammes.


Les opposants au régime soutiennent que le gouvernement du PP a utilisé les moindres violences de ces manifestations isolées comme excuse pour rédiger cette ample législation qui contrôle toutes les protestations. Le projet de loi initial a été présenté en novembre 2013 et était encore plus sévère que celui qui a été finalement approuvé. Entre autres choses, il comprenait de lourdes amendes aux manifestants qui auraient porté des bannières que le gouvernement aurait estimées « nuisibles pour l’Espagne ou ses régions ». Il donnait également aux gardes de sécurité privés le droit d’aider la police pour disperser les manifestations. Le Conseil Général du Pouvoir Judiciaire (CGPJ, qui assure le respect de la Loi) et le Conseil du Bureau du Procureur  soulevèrent immédiatement des objections à cette loi, avertissant que certaines parties du projet pourraient être inconstitutionnelles. En conséquence, certaines des parties les plus dures de la présente loi furent éliminées, mais la constitutionnalité de celle-ci reste encore discutable.

Tout gouvernement a le droit et l’obligation de faire maintenir la paix pour ses citoyens. Mais dans un pays libre, cette obligation doit être conforme aux critères des droits individuels inaliénables garantis par la Constitution. Lorsque ces droits sont ignorés, le gouvernement obtient le contrôle total de nos vies, ouvrant les portes à la corruption. N’oubliez pas le vieux proverbe : « Le pouvoir corrompt… et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Pour que la démocratie et la liberté survivent, le droit de manifestation pacifique contre les actions du gouvernement est essentiel. L’opposition à cette « loi bâillon » ne cesse de croître et selon les paroles d’Ada Colau leader anti-expulsions : « Nous n’avons pas peur. Nous connaissons le pouvoir du peuple ». •