Hommage aux hippies
Par Cat Weisweiller
ibiCASA a rencontré Joan Marí (plus connu sous le nom de Juanito) de Las Dalias et Jean-Michel Fueter (dont le nom artistique est Jon Michell), de l’événement nocturne hebdomadaire Namaste, afin d’explorer le voyage qui a conduit le mouvement hippie depuis un phénomène rejeté par beaucoup jusqu’à devenir une fierté et partie intégrante de la culture d’Ibiza.
En 1963, le journal « Diario » rapportait, en termes désobligeants, l’arrivée soudaine d’une vague d’êtres quelque peu désagréables appelés « els peluts » (les chevelus). En fait, Ibiza, caractérisée par le refuge qu’elle offrait aux visiteurs au cours des siècles, recevait des appelés à la guerre du Vietnam qui avaient fui cet appel aux armes. Avec eux, apparut le « flower power », émergeant comme une protestation symbolique contre cette guerre. Comme il est naturel, l’utilisation de drogues, le fait de se baigner nu et le laisser aller des hippies furent considérés avec un certain dédain par les autorités et la population la plus conservatrice. Toutefois, les générations les plus jeunes se laissèrent tenter par le charme de cette nouvelle sensation de liberté qu’ils apportaient à l’île. Bientôt, nombreux furent ceux qui reconnurent en la philosophie hippie, un phénomène qui allait bien au-delà d’une simple défonce.
Certains assimilent cette philosophie hippie à celle de Laos, anciens cyniques grecs. On dit que le fondateur de l’école cynique fut Antisthenes (v. 445-365 av. J.-C.), collègue de Platon et étudiant de Socrate. Les cyniques pensaient que le but de la vie était de vivre une vie simple et vertueuse, en concordance avec la nature, rejetant les désirs conventionnels tels que la richesse, la puissance, la gloire et les possessions matérielles. Pour eux, nous étions tous les enfants de la Terre et le monde nous appartenait à tous à part égale; on pouvait atteindre le vrai bonheur grâce à une autonomie et à un mode de vie plus naturel que ce qu’offrait à l’homme la civilisation moderne et ses machines.
Bientôt, les esprits s’ouvrirent à cette vision et l’acceptation de « els peluts » s’ensuivit. Au milieu des années 1970, le hippie avait atteint sa côte la plus haute, avec les voyageurs récupérant et vendant des objets qu’ils trouvaient lors de leurs voyages, incluant Ibiza à leur itinéraire global. Le Bar Anita de San Carlos ouvrit son service de poste restante aux hordes de hippies qui faisaient la queue pour recueillir leurs envois de fonds. Pendant ce temps, le prêtre du village, Pep Negre (connu comme « le curé des hippies »), leur permit de se réfugier sous les voûtes de l’église et de jouer leur musique à l’intérieur. En 1973, la zone de Santa Eulalia élargit cette hospitalité, l’hôtel Punta Arabí (Es Canar) les invitant à venir y vendre leurs objets d’artisanat à l’ombre des pins. Ainsi naquit le premier marché hippie sur l’île, qui depuis lors, n’a cessé de croître de façon exponentielle. Le Bar Las Dalias, qui était déjà connu pour son art de faire fusionner confortablement hippies, touristes et résidents au cours de diverses soirées, lança son marché hippie il y a 26 ans; depuis 1999, sa soirée hebdomadaire appelée Namaste, accueille culture globale et esprit flower power.
L’aide tant attendue des autorités locales de l’île arriva enfin l’an dernier. Elle signifia un grand progrès par rapport à l’attitude bureaucratique d’antan et confirmait l’observation opportune du précédent conseiller du tourisme à Ibiza, Pepa Marí : « il est important que les médias diffusent une perspective de l’île complètement différente de l’image déformée et partielle que nous avons si souvent vue, image qui ne reflète pas le côté authentique d’Ibiza ». Et le fait de rendre ainsi hommage aux marchés hippies d’Ibiza, par le biais de salons du tourisme et de marchés touristiques, contribue à ce que, accidents, criminalité, trafic de drogue et hédonisme ne fassent plus la une des medias... mais si, par contre, la liberté d’esprit la plus pure qui symbolise Ibiza. Le hippie est maintenant reconnu comme celui qui fit sortir Ibiza de la répression impulsée par le régime de Franco et comme celui qui situa l’île sur la carte touristique grâce à sa tolérance et son hospitalité. Les deux marchés hippies gagnèrent des prix d’honneur grâce à leur impact positif sur l’industrie du tourisme, et ont été nommés officiellement comme « Lieux d’intérêt touristique municipaux », respectivement.
Personne n’apprécie ou ne respecte plus cette reconnaissance officielle que Juanito : « nous sommes allés, de manière indépendante, aux salons du tourisme et marchés touristiques pendant 10 ans. Nous avons toujours dû prévoir une petite opération de promotion et travailler avec un budget serré ». Cependant, en 2013, Ibiza et Formentera obtinrent leur propre zone de promotion sous l’égide des îles Baléares, et les marchés hippies reçurent des investissements promotionnels de la part des autorités, le Conseil d‘Eivissa et la Mairie de Santa Eulalia. L’an dernier, ils firent le tour des foires touristiques de Londres, Madrid et Berlin, avec un jour sur trois dédié aux marchés hippies (Las Dalias et Punta Arabí) au World Travel Market : « c’était un autre monde. Avec le soutien des autorités locales et touristiques, nous avons pu élever le niveau ». Juanito chargea Jon Michell de la musique, l’ambiance et le décor, conçus pour faire émaner les couleurs, les sons, le visuel et l’esprit du marché hippie, et Namaste captiva visiteurs et collaborateurs avec une séduisante dose d’esprit flower power. « Ce fut comme un mini-festival en soi qui causa beaucoup d’impact, et qui vanta très positivement l’île et son mouvement hippie ».
Au début de la saison, Las Dalias a également étendu son tour indépendant et son devoir de représentant par un troisième départ de LAS DALIAS SUR LA ROUTE. Jusqu’à présent, ils n’avaient atteint que la péninsule, mais cette année, son événement de 3 jours, le plus important jusqu’à maintenant, les fit passer par 100 stands et autres endroits tout au long du chemin jusqu’à Amsterdam (Pays-Bas), avec la décoration de Namaste et la musique de Jon Michell et Paco Fernández. « L’événement a été très réussi et a été couvert par les médias locaux avec enthousiasme. Il s’agit, sans aucun doute, d’un très puissant exercice de représentation pour l’ensemble de l’île ».
Et il semble en être ainsi puisque l’enthousiasme pour les marchés hippies d’Ibiza se développe non seulement localement, mais aussi au niveau mondial. Nul n’en est plus heureux que Jon Michell, qui visita l’île pour la première fois en 1971 et s’y installa de façon permanente en 1987, étant donc un intéressant observateur du mouvement hippie au cours de toutes ces années. « Au lieu de la vision persécutrice d’autrefois, lorsque les hippies étaient soumis à de fulminants regards discriminatoires, la société reconnaît enfin sa dette envers une génération à qui nous devons beaucoup pour les libertés dont nous jouissons aujourd’hui ». Jon Michell fait également l’éloge de la contribution des autorités. « Je crois énormément en eux pour avoir fait ce pas si pragmatique. Il s’est passé suffisamment de temps pour qu’Ibiza reconnaisse l’invasion hippie comme une part de sa culture et qu’elle en fasse la promotion avec enthousiasme. Le sexe et la drogue ont une date d’expiration en tant qu’arguments de vente. Il s’agit désormais de mettre l’accent sur l’âme authentique de l’île. Les graines de rébellion, tolérance, individualité, vision, intégrité et optimisme plantées par les hippies ont pris racine, et leur héritage a fleuri afin d’offrir une puissante perspective promotionnelle unique à l’île ». •